Depuis le début du 20ème siècle, la France a vu sa température moyenne augmenter de 1,4°C, un phénomène qui pourrait s’intensifier dans les prochaines décennies, avec des projections annonçant une hausse allant de +3,4°C à +5,3°C d’ici la fin du 21ème siècle.
Cette évolution climatique ne se limite pas à des chiffres abstraits mais a un impact tangible sur les vignobles français, bouleversant leurs écosystèmes et leurs traditions séculaires.
Répercussions du changement climatique
L’augmentation des températures et les modifications des régimes de précipitations transforment progressivement le visage des vignobles français. Cette tendance est déjà visible, avec une diminution des précipitations dans le sud du pays et une augmentation dans le nord. Cette évolution, associée à une augmentation de l’évapotranspiration, réduit la disponibilité en eau pour les cultures, augmentant ainsi le stress hydrique des vignes.
Les phénomènes thermiques extrêmes, tels que les vagues de chaleur, deviennent plus fréquents, affectant directement la santé des vignes. Les étés récents ont témoigné de cette réalité, avec des périodes de chaleur intense, compromettant parfois les récoltes. Parallèlement, le nombre de jours de gel pourrait diminuer, bien que des épisodes de gel tardif aient été observés ces dernières années.
Nous observons un réchauffement climatique global qui n’est pas sans conséquence : des hivers plus doux, des irrégularités en terme de pluviométrie, c’est-à-dire des épisodes très intenses de pluie suivis de sécheresse pouvant survenir en toute saison. Nous avons des sorties d’hiver avec des risques de gelées soudaines et de grêles dues aux changements rapides de températures. En général, les catastrophes climatiques sont plus fréquentes.
Charles SAVIGNEUX, gérant et vigneron au Château d’Eyran
Impact sur la viticulture
Les conséquences du changement climatique sur la viticulture sont multiples et complexes. Les vignes souffrent d’un stress hydrique accru en raison de conditions plus arides et chaudes, impactant les rendements. Les épisodes de gel tardif, comme celui qui a frappé les vignobles bourguignons en avril 2021, illustrent la vulnérabilité des cultures face à ces événements climatiques extrêmes. La maturation précoce des raisins, conséquence des températures élevées, modifie également la composition chimique des fruits, produisant des vins de plus en plus alcoolisés et moins acides. Cette évolution perturbe l’équilibre gustatif des vins, transformant par exemple les arômes frais des Bordeaux en notes de fruits confiturés.
Certains vignobles souffrent de sécheresse très importante, ce qui n’est pas notre cas. Nous faisons face à des phases de pluies intenses au printemps suivies de périodes très sèches et chaudes en été, presque caniculaires. Cela complique les choses car la vigne se bloque à certaines températures, ce qui peut causer des dommages sur les raisins, comme l’échaudage et une maturité accélérée.
Ce qui est sûr, c’est que tous les écosystèmes sont poussés vers une incertitude quant à la croissance végétale. Certaines années, la vigne pousse très rapidement et fortement ; la gestion des maladies est alors plus difficile.
Charles SAVIGNEUX, gérant et vigneron au Château d’Eyran
Adaptations et solutions
Face à ces défis, les viticulteurs s’efforcent de s’adapter en modifiant leurs pratiques culturales et en sélectionnant des cépages plus résistants au climat changeant. L’agriculture raisonnée, avec des pratiques telles que l’effeuillage minimal et l’ombrage des vignes, gagne en popularité non seulement pour protéger les raisins du soleil mais aussi pour limiter le stress hydrique.
L’innovation génétique offre également des perspectives, avec la création de variétés de vignes adaptées aux conditions climatiques émergentes. Les efforts visent à développer des cépages plus tardifs, plus résistants à la chaleur et à la sécheresse, ainsi que des porte-greffe mieux adaptés aux contraintes hydriques.
Nous travaillons sur la résilience de la vigne, en nous assurant qu’elle puisse encaisser les coups durs : l’excès d’eau dans les sols, les hivers trop doux, les gelées ou les températures négatives ; tous ces inconvénients épuisent la vigne. L’excès d’humidité au printemps ne facilite pas l’assimilation des minéraux et favorise les maladies. Des maladies comme le mildiou s’adaptent rapidement aux nouveaux traitements ; ce qui complique la protection des vignes.
Il est crucial de trouver le bon matériel génétique, de préparer le sol adéquatement, d’assurer une bonne implantation des plantes et de veiller à une suffisance en minéraux, ce qui devient de plus en plus difficile avec l’excès d’eau dans les sols. Nous faisons des analyses régulières des limbes pour vérifier que les vignes aient tous les minéraux nécessaires. Nous utilisons des engrais foliaires pour compléter la nutrition pendant la croissance.
Nous devons faire preuve de précision et de technique. La moindre erreur peut nous causer une perte de récolte. Les années où les récoltes sont plus importantes nous aident à maintenir nos stocks et à rester compétitifs.
Le Cabernet Sauvignon a une maturité plus lente et est moins sensible au mildiou que le Merlot. Ce cépage tardif est avantageux car il n‘arrive jamais à sur-maturité avec des degrés très élevés, il a des tanins mûrs et est moins sujet au gel et aux maladies. Nous privilégions donc ce cépage par rapport au Merlot, qui est plus sensible.
Nous travaillons également sur la taille des vignes pour respecter la plante et conserver tout son potentiel de vigueur et d’énergie face aux aléas climatiques. La gestion de l’alimentation et de la vie du sol, la tonte, l’effeuillage et l’épamprage doivent être réalisés au bon moment. Nous adaptons les protocoles de traitement pour minimiser l’impact environnemental tout en étant efficaces contre le mildiou.
Charles SAVIGNEUX, propriétaire du Château d’Eyran
Le rôle de l’oenologie
En parallèle, les pratiques oenologiques évoluent pour contrer les effets du changement climatique sur la qualité des vins. Des techniques de désalcoolisation et d’acidification sont utilisées pour ajuster l’alcool et l’acidité des moûts et des vins, préservant ainsi l’équilibre sensoriel et le potentiel de conservation.
Le changement climatique impose une redéfinition des pratiques viticoles traditionnelles. Les viticulteurs doivent s’adapter en repensant leurs méthodes de culture et en explorant de nouvelles variétés de vignes. Tout en préservant l’essence même de la viticulture française, ces efforts d’adaptation sont essentiels pour assurer la durabilité et la diversité des vignobles face aux défis climatiques à venir.
Dans le choix des cépages, nous avons les clones et les sélections massales. Les clones, qui sont des copies exactes du matériel génétique d’une vigne mère, nous permettent d’avoir une parcelle homogène en terme de qualité. La qualité des plants est essentielle pour produire des vins avec une finesse et des arômes évolutifs.
Il existe de plus en plus de cépages résistants intéressants. Cependant, suite à des dégustations techniques de ces cépages, au Château d’Eyran, nous ne sommes pas encore satisfaits des résultats aujourd’hui.
Sur le Bordeaux Château Bastian, on pourrait en envisager une petite partie de ces cépages dans nos assemblages ; ce qui n’influencerait que très peu le résultat final. Mais sur le Château d’Eyran, je n’ai aucune envie d‘ajouter 5% ou ou même 10% de ces lots, car je trouve que ce n’est pas à la hauteur qualitativement parlant.
Je pense que les vins ne vieilliraient pas de la même manière, n’auraient pas les mêmes arômes d’évolution et manqueraient de structure.
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De notre côté, on continue de goûter, d’être à l’écoute, mais pour le moment, je trouve que le mieux est de se protéger contre le gel, grâce à des systèmes non polluants, de maitriser au mieux la qualité du matériel génétique et d’avoir une variété de cépages qui s’adapte le plus possible à nos terroirs.
Nous expérimentons également la vinification dans des amphores. Elles permettent de produire des vins très expressifs, fruités et frais. Les amphores ; moins coûteuses que les barriques car plus pérennes ; offrent un profil différent aux vins.
On adopte ces changements avec une certaine prudence car on ne sait aujourd’hui de quoi demain sera fait mais on va devoir s’adapter, alors on reste positif !
Charles SAVIGNEUX, propriétaire du Château d’Eyran