Alors que je me promenais dans le vignoble cette semaine, j’ai eu la chance de croiser Florian, second d’exploitation au Château d’Eyran, occupé à tailler les vignes avec son équipe. Cette rencontre s’est avérée être une excellente occasion d’échanger avec lui et de lui poser les questions qui me trottaient dans la tête.
Pour ceux d’entre vous pour qui la taille des vignes reste un concept nébuleux, je vous invite à consulter un article que nous avons publié l’année dernière. Cependant, si vous êtes curieux de connaître les impressions de Florian sur cette période si particulière, je vous invite à poursuivre votre lecture ici !
Bonjour Florian, peux-tu m’expliquer ce que représente la taille pour toi ?
À mes yeux, la taille représente le commencement du cycle végétatif de la vigne. Il ne s’agit pas de la clôture d’une année, mais plutôt de l’amorce d’une nouvelle ; c’est là que tout prend son essor.
Tu vois, la vigne suit un cycle végétatif régulier, cyclique, avec des travaux qui se répètent d’une année sur l’autre. La taille marque véritablement le début de la saison, et les choix effectués à ce moment-là déterminent la récolte de l’année à venir, voire parfois celle des deux années suivantes en fonction des bois conservés et utilisés.
Je suis convaincu qu’après la plantation, la taille constitue le maillon essentiel qui façonne une vendange. Ce qui est particulièrement intéressant à ce stade, c’est l’aspect décisionnel ; les choix opérés non seulement d’un point de vue physiologique, mais aussi dans leur impact sur la récolte future.
C’est donc une période pleine de décisions, penses-tu que ce soit une période stressante ?
Je ne qualifierais pas la taille de particulièrement stressante, car le délai d’action est relativement étendu. Cette année, nous avons opté pour un début en janvier (avec une fin estimée à fin février), mais en mettant de côté les risques de gel, il serait possible de commencer dès la chute des feuilles en novembre/décembre.
À mon avis, une fois que l’équipe est bien formée et a assimilé les subtilités de la taille, il n’y a aucune raison de stresser. Certes, un rythme doit être respecté, mais nous disposons du temps nécessaire pour effectuer la tâche et corriger le tir en cas de besoin. Contrairement à d’autres étapes comme les traitements qui présentent des impératifs, où le risque est élevé si les opérations ne sont pas menées dans la journée, ici, avoir le luxe du temps permet de réduire le stress et d’anticiper.
Le véritable facteur de stress survient après, avec l’incertitude climatique hivernale qui peut influencer le déroulement du printemps.
Justement, quel est ce fameux rythme de taille ? Comment le calculez-vous ?
Pour nous donner un ordre d’idée et nous organiser, nous nous référons à la moyenne des travaux des années précédentes. Cependant, nous pouvons également nous appuyer sur la convention collective, qui fournit des indications sur la durée des travaux en fonction du type de taille choisi. Dans les deux cas, le barème est calculé en heures par tranche de 1000 pieds, constituant ainsi notre base de comptage.
Je pense que l’efficacité d’un tailleur découle d’une analyse rapide et précise du pied de vigne, ainsi que d’une grande dextérité dans la manipulation du sécateur, acquises au fil du temps grâce à l’expérience.
En moyenne, un tailleur compétent consacre environ 9h à 9h30 par tranche de 1000 pieds. C’est le niveau de performance que nous attendons de notre équipe aujourd’hui. Toutefois, cette estimation dépend des travaux effectués l’année précédente, notamment en ce qui concerne l’épamprage. Il va de soi que plus il y a de bois à tailler, plus le temps nécessaire par pied augmente. De plus, certaines parcelles peuvent présenter des lacunes en termes de densité de pieds, ce qui influe également sur la productivité.
En ce qui concerne le rendement par heure, pour te donner un ordre d’idée, sur la base de mon expérience personnelle, je taille environ à 120 pieds par heure.
Est-ce que tu aimes tailler ?
Oui, j’aime vraiment la taille, particulièrement sur les parcelles où la vigueur est présente, avec un beau bois, des bons pieds et des choix de bois judicieux. Cependant, lorsque la vigueur est moindre, que les choix sont par défaut et non initialement désirés, l’expérience est un peu moins plaisante.
C’est vrai que sur des pieds bien développés avec de la vigueur, le processus est évident. Paradoxalement, dans ces cas-là, la taille peut prendre un peu plus de temps en raison de la nécessité de réaliser de nombreuses petites coupes. En revanche, sur des pieds moins vigoureux, où l’on effectue des coupes plus importantes, le processus peut être rapide certes, mais il ne correspond pas à ce que nous recherchons, et donc, il est moins stimulant.
Cependant, je pense que c’est vraiment inhérent à la nature même de la vigne. Cela ne vient pas forcément du choix de bois antérieurs ou de problèmes de vigueur, mais parfois, juste en raison de conditions climatiques défavorables, nos choix sont limités. Même si ces choix deviennent une évidence compte tenu des circonstances, ils ne correspondent pas toujours à la consigne initiale.
Mais ce que je trouve fascinant dans la taille, comme mentionné précédemment, c’est qu’elle marque le point de départ de l’année. Partir d’un pied buissonnant avec des bois dans toutes les directions et aboutir à presque rien, à pratiquement plus de bois, en sachant que toute la récolte en découlera, c’est vraiment satisfaisant.
Quels sont les principaux éléments à prendre en compte lors de la taille de la vigne ?
Tout d’abord, il est essentiel de savoir identifier les bois fructifères, car c’est la pierre angulaire du métier de tailleur. Avec notre nouvelle approche de taille, il est aussi crucial non seulement d’appliquer les consignes, mais aussi de les adapter selon les spécificités de chaque pied de vigne.
Comme nous l’avons discuté précédemment, lorsque les conditions sont idéales et que tous les bois sont uniformes, l’application des consignes est simple et rapide. Cependant, dès que des situations différentes se présentent, il est nécessaire de savoir réajuster ou interpréter les consignes en fonction des caractéristiques propres à chaque pied de vigne.
Selon toi, quelle serait une journée idéale pour la taille ?
Bien évidemment, on ne va pas se mentir, travailler en extérieur avec un grand soleil, c’est plus agréable. Cependant, si l’on veut véritablement réfléchir à ce qu’est une journée idéale pour la taille à la période où nous la réalisons, il serait souhaitable d’avoir une matinée très froide, même à -5 degrés, avec un ciel dégagé. Lorsqu’il a gelé et que le ciel est dégagé, bien sûr pendant la première heure il fait froid (surtout aux doigts), mais ensuite, le grand soleil prend le relais et l’expérience est directement plus agréable !
En janvier, nous avons eu une journée où nous avons pu tailler en tee-shirt, ce qui était super sur le coup. Mais, normalement, de telles conditions se manifestent plutôt à la fin février ou début mars, lorsque le printemps s’installe progressivement, et non dès janvier ou début février. Bien que ce soit plaisant, cela peut être un mauvais signe, car tout le froid que nous n’avons pas maintenant pourrait se manifester plus tard à un stade où la vigne est plus avancée et donc plus vulnérable. Nous réfléchissons toujours aux implications, non seulement en termes de protection contre le gel (pour laquelle nous sommes préparés malgré tout) mais aussi en ce qui concerne les problèmes de récolte potentiels qui pourraient survenir par la suite.
Justement, avec ces changements de saisons et de climats, comment a évolué la taille ces dernières années ici ?
Une observation préoccupante émerge tant dans les vignobles que dans de nombreux autres secteurs : le dépérissement général des plantes. La question cruciale qui se pose est celle de son origine. Est-ce un problème intrinsèque aux pieds de vigne eux-mêmes ? Des études poussées réalisées par des chercheurs ont révélé que la cause résidait dans le trajet de la sève, qui n’était pas optimal selon les pratiques traditionnelles, notamment en ce qui concerne le choix des bois et les plaies de taille infligées en fonction de ces choix.
Il faut savoir que le trajet de la sève se produit en périphérie de la plante, avec une circulation de la sève vers l’extérieur. Ainsi, la méthode que nous avons décidé d’adopter depuis l’année dernière consiste à permettre à la vigne de s’allonger, tout en maintenant un contrôle rigoureux sur sa croissance pour éviter tout débordement. Pour cela, nous ne taillons que sur des bois âgés d’un à deux ans. Nous avons observé que les cicatrisations des plaies de taille sur des bois plus anciens peuvent non seulement nécroser au point de coupe, mais descendre jusqu’au point de greffe, perturbant ainsi le trajet optimal de la sève depuis la base de la plante.
En taillant sur des bois plus jeunes, nous constatons que la cicatrisation se limite à leur point d’insertion, préservant ainsi le bon fonctionnement du système vasculaire de la vigne. Cela nous a conduits à modifier nos pratiques, tant en ce qui concerne le choix des bois que des coupes réalisées. Auparavant, nous avions l’habitude de tailler les bois excédentaires au ras (les pampres), laissant une surface totalement dénudée, empêchant toute repousse. Désormais, nous laissons quelques millimètres de bois autour de la coupe, préservant ainsi les bourgeons latents qui peuvent éventuellement se développer. Cette approche favorise une cicatrisation localisée et évite les problèmes liés à un afflux de sève vers les bois conservés.
La taille est vraiment un choix technique complexe. Est-ce que tu penses qu’il soit nécessaire de repenser la taille fréquemment dans un domaine ?
Je suis d’avis que remettre systématiquement tout en question peut s’avérer complexe et parfois superflu, car les effets d’une nouvelle méthode de taille ne se manifestent pas en une seule saison, mais plutôt sur plusieurs années. De plus, en cas de perturbations climatiques telles que le gel, il devient difficile de déterminer leur réelle influence.
En revanche, une observation régulière du vignoble à tous les stades végétatifs offre la possibilité de percevoir l’évolution du comportement de la vigne au fil des années, permettant ainsi d’ajuster les pratiques. C’est précisément ce que nous avons récemment fait ici en nous appuyant sur les observations des années antérieures. Nous nous sommes posé des questions, avons cherché des réponses, et nous nous sommes rapprochés de spécialistes qui ont étudiés les principes de la vigne. Bien que chaque professionnel puisse présenter des points de vue différents, nous avons choisi une direction précise et nous y maintenons, tout en restant ouverts aux ajustements au fil du temps.
Cette saison marque la première mise en œuvre complète de notre nouvelle méthode, et effectivement, la manière dont nous taillons aujourd’hui diffère considérablement de ma propre pratique il y a cinq ans. Donc je pense que oui, il est essentiel d’adopter une approche réfléchie, de se remettre en question lorsque nécessaire mais il ne faut pas tomber dans l’extrémisme et changer chaque année.
On l’a dit, chaque vignoble est différent. Est-ce que cela a entrainé une différence de taille entre Château Bastian et Château d’Eyran ?
La même technique de taille est appliquée dans les deux domaines, avec uniquement des distinctions en termes d’effectifs et de calendrier.
Au Château Bastian (appellation Bordeaux, situé à Auros), nous avons une seule personne dédiée à la taille, tandis qu’à Eyran (appellation Pessac-Léognan, dans le village de Saint-Médard-d’Eyrans), notre équipe compte 5 personnes (parfois 6 avec moi). Chaque saison débute par une journée commune où nous faisons le point et ajustons la taille si nécessaire.
À Bastian, nous avons 30 000 pieds à tailler en moyenne, sachant qu’une personne taille environ 10 000 pieds par mois. Ainsi, cela nécessite trois mois de travail, d’où le démarrage dès décembre. À Eyran, comme mentionné précédemment, nous avons commencé en janvier cette année. Les terroirs présentent des différences, avec une sensibilité au gel moindre à Bastian situé dans une zone plus vallonnée par rapport à Eyran.
À Eyran, l’équipe entame la saison de taille avec 5 personnes. Vers la fin de la taille, nous anticipons les chantiers nécessaires dans le vignoble. En fonction du volume restant, nous assignons en général, trois personnes à la taille, tandis que les deux autres préparent l’après-taille. Ainsi, une fois les derniers pieds taillés, nous pouvons enchaîner rapidement avec l’étape du pliage.
Merci Florian !
Comme vous l’avez sûrement compris, la question de la taille est à la fois vaste et passionnante. J’espère sincèrement que ce format d’article vous a plu et vous a permis d’explorer ce sujet avec intérêt. Si vous avez des questions supplémentaires ou des points à discuter, n’hésitez surtout pas à nous contacter. Nous sommes là pour partager notre métier de passion !
À bientôt.
– Mathilde