Viticulture biologique, biodynamique, raisonnée, traditionnelle, productiviste, … Les questions sont nombreuses, et derrière ces termes, les définitions restent souvent floues.
La biologie est la science du vivant et à ce titre, l’agriculture est forcément biologique.
Pour avoir le label « agriculture biologique », il faut remplir un cahier des charges (une liste d’obligations à respecter). En France, ce cahier des charges est un des plus contraignants du monde et son application est contrôlée par un organisme indépendant qui retire la certification en cas de manquement. Beaucoup de pays en développement accordent ce label avec plus de souplesse. Pour l’élevage, il est question de densité d’animaux à l’hectare, d’âge à l’abattage, de non utilisation systématique d’antibiotique. Pour la vigne, il est question de produits de traitement autorisés, d’engrais dits biologiques, c’est-à-dire « naturels ».
Ce n’est pas parce qu’un produit est issu de l’agriculture biologique qu’il n’est pas irrigué, qu’il n’a pas poussé sous serre, qu’il n’est pas issu d’une culture intensive et surtout qu’il n’est pas traité. Les produits de traitements sont autorisés mais ils doivent faire partie d’une liste qui comprend des substances actives « naturelles » (on n’y parle pas des adjuvants ni des processus industriels qui permettent à ces molécules d’être appliquées). Ainsi, sont autorisés les produits à base de cuivre, de soufre, ou de pyrèthre comme insecticide. Ces produits sont moins rémanents que les récentes molécules de synthèses, et le nombre de traitements est souvent plus élevé en agriculture biologique.
L’ « agriculture biodynamique », selon les théories d’un philosophe autrichien au début du XXIème siècle, Rudolf Steiner, consisterait à respecter la vitalité de la terre et sa richesse microbiologique, et à resituer la parcelle cultivée sous un ciel, une planète et au sein d’un univers. On considère l’exploitation dans son ensemble comme un organisme vivant. On tient compte des astres pour les façons culturales. De la bouse macérée dans des cornes de vache enterrées est ensuite « revitalisée » en la mélangeant avec de l’eau que l’on remue, puis épandue dans les champs à dose homéopathique. On stimule les plantes de la même façon avec du broyat de silice (du sable) que l’on pulvérise là aussi à toute petite dose. La biodynamie se décline en plusieurs tendances, des plus intransigeantes au plus intuitives. Il existe 2 labels, peu utilisés. Le label Demeter, par exemple, est délivré pour une propriété qui est en culture biologique et qui doit pratiquer un traitement à base de bouse et un autre à base de silice. Il est intéressant de noter que cette certification interdit le cuivre sur les plantes annuelles (ce n’est donc pas un produit neutre…) mais pas sur la vigne. Les produits autorisés sont les mêmes qu’en agriculture biologique, à base de cuivre, soufre et pyrèthre.
Au Château d’Eyran, je pratique une viticulture raisonnée. Il n’y a ni contrôle, ni label, et chacun peut s’en réclamer. C’est une démarche qui prend en compte la protection de l’environnement, la maîtrise des risques sanitaires, la mise en œuvre de pratiques culturales permettant la préservation des sols et limitant la pollution, l’usage de moyens appropriés de protection des cultures et la maîtrise des intrants agricoles, des effluents et des déchets produits par l’exploitation. Les engrais et les traitements phytosanitaires, l’entretien du sol, l’équilibre général de la vigne et la vinification sont différentes phases où nous sommes amenés à faire des choix techniques, que je vous explique ci-dessous.
1. Les traitements phytosanitaires.
Je ne parle pas exprès de pesticide qui est un terme générique qui effraie (du coup, les journalistes l’utilisent). Lorsque l’on traite son chien contre les puces ou son enfant contre les poux, lorsqu’on utilise des boules anti-mites, de la poudre anti-fourmis ou une bombe anti-moustiques, on utilise un pesticide. Lorsque l’on prend un antibiotique, on utilise aussi un pesticide. Ce n’est pas le cas lorsque l’on se vaccine.
La vigne est une liane qui existe de façon naturelle sur tous les continents. Seule « vitis vinifera », en Europe, fut l’objet de sélection pour produire du vin. Cette espèce était bien tranquille jusqu’à l’importation en provenance des Etats Unis de l’oïdium en 1845, du phylloxera (qui est un insecte qui pique les racines) en 1861 et du mildiou en 1878. Si le phylloxera fut supporté en greffant des cépages européens sur des vignes américaines résistantes (qui font les racines), l’oïdium fut combattu avec des traitements préventifs à base de soufre, et le mildiou avec des traitements à base de sulfate de cuivre.
En France, avec un climat océanique comme dans le sud-ouest, le mildiou se développe très bien. Sans traitement, avec les cépages plantés aujourd’hui, on s’expose à des récoltes abîmées et très aléatoires. Dans le Bordelais, ce serait une récolte correcte tous les 5 ans ! Le problème n’est pas dans le choix de traiter ou pas, mais dans celui des produits utilisés (« naturels » comme le cuivre ou « de synthèse » dits chimiques).
Dès que l’on aborde ces questions, on est très vite catalogué en agriculteur à la solde de multinationales inconscient des dégâts causés à l’environnement, ou en écolo à l’écoute de la nature et rebelle au système productiviste. Ces positions caricaturales sont fatigantes et stériles. Il y a des agriculteurs bio qui sont de véritables industriels et dont la qualité n’est pas l’objectif premier, d’autres suivent leur vignes avec beaucoup d’attention et de soin et font des vins superbes. Il y a des viticulteurs non certifiés bio qui réfléchissent, ne traitent pas systématiquement, et travaillent avec respect la terre et leurs produits.
Pour ma part, j’ai décidé de ne pas traiter avec des produits à base de cuivre, de soufre, ou de pyrèthre, produits autorisés en Agriculture biologique ou biodynamique. Voici les raisons :
- utilisation de produits de traitement plus ciblés : le cuivre et le pyrèthre sont des produits à large spectre d’action qui modifient la population microbienne des vignes et du sol.
- possibilité de traiter avec des produits qui stimulent les défenses des végétaux.
- possibilité de choisir des produits à faible durée de vie. Le cuivre s’accumule dans les sols, et les vignes traitées depuis longtemps avec du cuivre peuvent voir leur population microbienne du sol divisée par deux.
- possibilité d’avoir des produits pénétrants, donc non lessivable par les pluies. Cela permet de traiter moins souvent (bilan carbone plus favorable). Cependant, on peut aussi trouver que ces produits pénétrants modifient la physiologie de la vigne et que les produits qui ne rentrent pas dans le végétal sont moins nocifs pour la plante….
Au niveau de la pourriture qui menace nos récoltes à chaque vendange, nous avons enherbé nos vignes depuis 25 ans. Cet enherbement entre les rangs augmente la biodiversité et favorise le développement de microorganismes qui concurrencent la pourriture. Nous pratiquons un effeuillage manuel afin d’aérer les grappes et de les exposer aux rayons du soleil. Ces pratiques limitent les risques et nous permettent de ne traiter en un seul passage que les parcelles les plus sensibles, soit environ la moitié de la propriété.
2. L’entretien des sols
Les mauvaises herbes nuisent- elles à la qualité du vin ? Et dans quelle mesure ? La réponse n’est pas évidente. Je pense qu’il est nécessaire de limiter l’enherbement en hauteur (tonte des bandes enherbées) et sous les pieds de vigne (passage de brosses rotatives) afin :
- de diminuer la concurrence entre l’herbe et la vigne, au niveau de l’eau et des éléments minéraux.
- d’empêcher l’herbe d’ombrager les grappes et de modifier son microclimat.
- de favoriser la réverbération du soleil sur le sol et donc l’éclairement des grappes.
Si nous avons opté depuis longtemps pour laisser pousser l’herbe dans le rang, la suppression totale des désherbants n’est que récente. Nous cultivons entre les pieds de vigne, bien que cette option nécessite plus de travail et plus de passages dans les vignes (pas bon pour le bilan carbone).
3. Les engrais
Nous apportons régulièrement de la chaux qui est du calcaire broyé plus ou moins finement. Nous apportons aussi des éléments minéraux issus en général de minerais broyés et quelques fois purifiés par des procédés chimiques. Nos sols sont très sablonneux et pauvres. Nous analysons régulièrement le sol, les feuilles et le vin afin de diagnostiquer des déséquilibres éventuels. Nous favorisons l’enracinement en profondeur des plants de vigne en laissant les rangs enherbés et en soussolant (passage d’une lame de 50 cm dans le rang de vigne pour aérer le sol en profondeur) tous les ans.
4. L’équilibre général de la vigne
L’objectif est de produire le meilleur raisin possible. A mon avis, la décision la plus difficile pour un vigneron est de déterminer à partir de quel rendement la quantité nuit à la qualité. Après l’effeuillage, nous comptons les grappes par pied, puis le nombre de graines par grappe afin d’évaluer au mieux le potentiel de récolte. Puis, en fonction des années, nous faisons tomber de la récolte afin de limiter celle-ci et de faire en sorte que les grappes soient le plus aérées et ensoleillées possible. Chaque parcelle a ses propres limites, et avec l’expérience, nous apprenons à les connaître.
5. Les vendanges
Sont maintenues sur nos propriétés des vendanges manuelles. Toute l’équipe peut ainsi apprécier de visu le résultat d’une année de travail, prendre soin de la récolte et opérer un tri soigneux des raisins à la vigne.
6. La vinification et les traitements des vins.
Au cours de la fermentation, nous n’apportons ni levures, ni enzymes (comme c’est autorisé en agriculture biologique). Je pense que cette fermentation naturelle plus lente permet une meilleure macération du marc pendant la vinification, une diversité plus importante de microorganismes fermentaires et, on peut imaginer, une plus grande diversité d’arômes. L’inconvénient est un risque de déviation en cas de prolifération d’une souche non désirable.
Nous contrôlons la température afin de gérer au mieux la fermentation et la macération. Le seul adjuvant est le dioxyde de soufre qui sert d’antimicrobien et d’antioxydant. Une hygiène rigoureuse du chai nous permet d’utiliser de faibles doses et nous arrivons à la mise en bouteille avec des doses de soufre bien inférieures aux doses autorisées. La vinification sans soufre est à la mode. Nous y arriverons peut être. Malgré ce qu’il y a écrit sur l’étiquette, beaucoup de vins annoncés sans soufre ont quand même une dose rajoutée à la mise en bouteille (la mention « contient des sulfites » est d’ailleurs aussi indiquée). Les vins sans soufre sont-ils meilleurs ? Je ne le pense pas. Ils sont souvent fragiles, et les déviations de goûts fréquentes. Ils évoluent très vite après l’ouverture de la bouteille. Cependant, il y en a de très bons.
J’espère avoir répondu à quelques questions. La qualité tient à une somme de choix imperceptibles et non mesurables. Certains sont bien « pesés », d’autres plus intuitifs, et souvent difficilement quantifiables. Tous les ans, nous essayons de progresser, de garder à nos vins la typicité du terroir mais aussi d’arriver à plus de finesse et d’harmonie, tout en nous inscrivant dans une démarche responsable et réfléchie de qualité environnementale et de qualité des vins produits.
Stéphane Savigneux