L’olfaction
L’olfaction, ou odorat, est le sens qui permet d’analyser les substances chimiques volatiles (odeurs) présentes dans l’air. C’est certainement le sens le moins utilisé par l’être humain, à la différence de nombreux mammifères pour lesquels il est prépondérant. C’est pourtant la première ouverture sur le monde : déjà in utero, le système olfactif est le premier sens à se mettre en place entre 11 et 15 semaines. L’exposition du fœtus aux substances odorantes transportées par le liquide amniotique lui donne une première expérience susceptible d’influencer ses préférences après la naissance : alors qu’en général, l’odeur d’ail fait grimacer et se détourner les nouveaux-nés, les enfants « du sud » l’apprécient, car ils la connaissent déjà par la mère. Ensuite, quand l’enfant naît, il crie et il respire : ils sent le monde avant de le voir. Ce sens est plus ou moins développé selon les individus : certains naissent avec un bagage plus riche. Les femmes ont génétiquement une sensibilité, une capacité à différencier les arômes plus importante que les hommes. Bien que relativement peu utilisé par rapport aux autres sens, l’odorat reste d’une grande importance dans la détermination consciente ou inconsciente de nos comportements. Il existe en pratique deux seuils perceptifs. Le plus faible correspond à la détection d’une odeur qui reste indéfinissable, le second à l’identification qui est reconnaissance. Certaines molécules se détectent à des taux beaucoup plus faibles que les autres et il semble que certaines molécules (hormones, phéromones) soient détectées, sans traduction en terme d’odeur « consciente ».
Sentir
On dit « sentir » pour une odeur, mais aussi pour les émotions et les sentiments. Le sens olfactif est en prise directe avec la mémoire, sans filtre ni neurone qui interprète. Il est lié à une émotion, un souvenir. Il n’a pas de vocabulaire propre et se décrit par métaphore. Entre sens du flou et non-dit, il intéresse plus le territoire de l’émotion que celui de la catégorisation. Les quelques 10 millions de cellules réceptives qui captent les molécules qui s’échappent des fleurs, des fruits, …, peuvent détecter jusqu’à 10 000 effluves différentes. Mais c’est la capacité de notre mémoire qui permet de les différencier. Pour déceler la maladie d’Alzheimer en Grande-Bretagne, on utilise le test de la pizza : on fait sentir au patient de l’origan, présent sur toutes les pizzas. Si le patient ne le reconnaît pas, c’est un premier signe. Faire travailler son nez est très important pour la mémoire. Aller à la pêche aux souvenirs : qu’est-ce que cela rappelle ?
Les trois principales dimensions des odeurs sont l’intensité (la force), la qualité (l’identification), et la tonalité hédonique (agrément/désagrément). Cette dernière fait appel à nos émotions et à notre bagage culturel et est éminemment subjective. Personne ne perçoit la même odeur de rose : il n’y a pas de références moléculaires et votre rose n’est pas celle du voisin ! Que dire des mauvaises odeurs ! Pour un occidental, la vraie cuisine chinoise ne figure pas parmi les odeurs agréables, la bécasse faisandée est insupportable pour beaucoup de gens et les asiatiques trouvent aux occidentaux une odeur de lait et de transpiration qui les dégoûte!
Le nez du vin
Le monde des odeurs du vin est une concentration de substances à l’intersection de voies multiples : voisinage de parfums, cohabitation temporaire, coup de foudre des molécules, concubinage ou mariage arrangé. Chaque parfum est le résultat des caractéristiques du cépage, du terroir et du climat (arômes primaires), des vinifications (arômes secondaires) et de l’assemblage, de l’élevage et du vieillissement (arômes tertiaires). L’examen olfactif permet d’analyser les parfums exprimés par le vin. On parle de bouquet, en terme d’intensité (discret, fermé, épanoui, ouvert, éclatant…), de type de parfum et de complexité. Le nez du vin exprime les odeurs du climat (odeurs chaudes, cuir pour les vins du sud, ou froides, métalliques pour ceux du nord), du sol (pierre-à-fusil, craie mouillée). On retrouve des parfums végétaux tels que : vert (herbacé, fougère, bourgeon de cassis), sec (foin, tabac), champignons (levure fraîche, truffe, cèpe, sous-bois, humus), boisé (bois vert, chêne, santal) ou balsamique (résine). On trouve aussi des parfums de fruits : agrumes (citron, pamplemousse), fruits blancs (pomme, poire, coing, ananas, banane), de fruits à noyaux (cerise, prune, abricot, pêche), de baies ou fruits rouges (cassis, framboise, mûre), de fruits cuits ou confits ou fruits secs et amandes (pruneau, figue, noix). Enfin des parfums de fleurs (violette, rose, muguet), de légumes (poivron,) de confiserie (miel, vanille, beurre, réglisse), et de grillé (pain grillé, café torréfié, cacao, fumé, poivron grillé, cuir, goudron).
Ce qui est fascinant dans le vin, c’est que tout bouge et change, d’un millésime à l’autre, d’une année de vieillissement à l’autre. L’odeur d’acacia facilement détectable dans de jeunes vins de chenin blanc d’Anjou fera place avec le temps au pamplemousse, probablement au coing et certainement à la cire d’abeille si l’élevage est plus long. Quant au parfum de violette (bêta-ionone), il provient de la dégradation du carotène en réserve dans la vigne. Il sera plus perceptible dans les vins blancs de Condrieu ou de Savoie si le millésime est beau et chaud. Mais la violette saura nous charmer dans certains vins issus de syrah, ou pour un bref moment, dans la période de jeunesse d’un Vosne-Romanée.
Décrire les odeurs du vin, c’est aussi faire œuvre de poésie…
– Brigitte Savigneux, d’après un article de JD Vincent