Les précipitations de grêle peuvent apparaitre en toutes saisons, mais c’est bien dans l’hémisphère Nord, entre avril et octobre, qu’il est le plus courant, du fait de conditions météorologiques favorables : masses d’air instables avec d’importants gradients de température du sol jusqu’en altitude, humidité élevée en surface et air sec en altitude. La grêle fait en moyenne beaucoup moins de dégâts sur les cultures que les gelées printanières tardives et les sécheresses, mais elle est localement et périodiquement un phénomène dévastateur. Elle peut détruire la récolte, défolier complètement la vigne, endommager les rameaux de l’année et parfois le vieux bois. Les conséquences de violentes chutes de grêle se ressentent durant plusieurs années, dès lors que la reconstitution des réserves et la fructification de l’année suivante sont contrariées.
Historiquement, dans l’impossibilité de comprendre et de maîtriser le climat, la plupart des peuples ont développé des rituels, danses, cérémonies afin d’attirer de bonnes conditions météorologiques. Les évènements climatiques néfastes à l’homme (tempête, orage, grêles, sécheresse…) étaient considérées comme la manifestation de forces surnaturelles, conséquences de la colère des dieux : Zeus gouvernait l’orage, l’ouragan et la foudre. Chez les Hindous, Indra tenait le même rôle. Pendant très longtemps, la religion, souvent mêlée à la superstition, fut la seule référence mentale pour se protéger des phénomènes météorologiques extrêmes, perçus comme une punition divine. Les peuples occidentaux pratiquèrent ces tentatives pour influer le temps sous forme de magie ou de religion. Dès le Moyen-Age, les exploitants viticoles se placèrent sous la protection d’un saint patron. Pas moins d’une trentaine de figures saintes sont réputées œuvrer pour la protection de la vigne et du vin : Saint Vincent, saint Paul, saint Urbain, saint Victor, saint Vernier, saint Didier, saint Martin, saint Morand… Au XVIIIe siècle, c’était une obligation de sonner les cloches en temps d’orage afin d’éteindre l’incendie allumé par les feux du ciel, au grand risque pour le sonneur d’être foudroyé !
Pourtant, depuis l’Antiquité, l’homme a essayé de comprendre ces phénomènes climatiques. Dès 1300 avant JC, les Chinois furent les premiers à avoir une démarche rigoureuse en effectuant des observations de manière régulière (hauteurs de neige, aspect des nuages, force du vent). Les Babyloniens ont laissé des tablettes de terre cuite sur lesquelles ils gardaient des lois relatives à la météorologie. Les Grecs furent probablement les premiers à adopter une approche d’analyse et d’explication rationnelle. À cette époque, la météorologie regroupait un large éventail de domaines tels que l’astronomie, la géographie ou encore la sismologie. Pour Empédocle, philosophe, poète, ingénieur et médecin grec du Ve siècle av JC, la combinaison des 4 éléments – terre, eau, air, feu – devait être à l’origine du froid, de la chaleur, de l’humidité et de la sécheresse. Aristote (384-322 av JC) publie un traité de référence “Météorologiques”, une étude des corps et des phénomènes célestes. Il tente de donner une explication à certains phénomènes tels que le vent et le cycle de l’eau. Pour lui, l’exhalaison que la chaleur du soleil extrait de la terre régit les phénomènes atmosphériques. Il comprend que la formation des nuages nécessite une baisse de température. Il pense très justement que la rosée, le brouillard, la grêle, la neige et la pluie découlent d’un même phénomène : la condensation. Il se trompe néanmoins quand il considère que l’air voit sa température augmenter avec l’altitude et explique ce phénomène par une couche d’éther plus chaude au sommet de l’atmosphère. Ainsi il pense que la grêle se forme au voisinage du sol après la traversée de couches plus froides lors de la descente des gouttes d’eau. La réalité est inversée (voir encadré), mais sa vison est déjà globalement très pertinente pour l’époque.
René Descartes (1596-1650) croit que le tonnerre est produit lorsque les nuages les plus élevés tombent subitement sur d’autres plus bas. Un physicien hollandais, Hermann Boerhaave (1668-1738) avance une théorie pour la formation de grêle : les particules d’eau que le soleil a élevées en l’air forment des nuées et composent des masses de glace. Le XVIIIe siècle marque le début de la science moderne. Plusieurs expériences permettent à cette époque de montrer la nature électrique de l’orage et de la foudre, ce qui amène Benjamin Franklin à imaginer le premier paratonnerre.
On cherche alors des moyens de contrer ces chutes de grêle. Au début du XIXe siècle se manifeste à l’échelle internationale un engouement pour les paragrêles électriques : perches en bois longues de 10-15 mètres, équipées d’une pointe de laiton mise à terre par un fil métallique, voire curieusement par une corde en paille de froment ou de seigle, au centre de laquelle court un cordon de lin écru. Très rapidement, certains scientifiques se montrent sceptiques face aux prétendus succès de ces expériences, doutant que quelques perches armées, au ras du sol, puissent protéger d’une grêle formée à des hauteurs considérables et poussée par des vents violents. Les paragrêles sont défendus par des amateurs enthousiastes, agronomes inventeurs, pasteurs, professeurs, vignerons et agriculteurs. Ces controverses donnent lieu à des débats intéressants. En 1926, la ferveur suisse retombe très brusquement dans le canton de Vaud à la suite de chutes de grêle dévastatrices sur des territoires que l’on croyait protégés. Du coup l’enthousiasme populaire se transforme en hargne : on arrache perches et fils de métal et on les vend aux enchères!
En 1880, un professeur italien déclare qu’il est concevable de prévenir la formation de grêlons en injectant des particules de fumée au moyen de canons. Un dispositif basé sur cette idée est expérimenté en Autriche en 1896 : quand il est tiré, le mortier produit un anneau de fumée qui siffle bruyamment en s’élevant jusqu’à une hauteur de 300 m. Ces canons ont fait l’objet d’un engouement du monde agricole et viticole. Dans un contexte de crise du phylloxéra, et avec l’appui des milieux politiques, de nombreux pays se sont équipés. On compte près de 10 000 canons en Italie.
En 1901, de nouveaux courants de pensée apparaissent et émettent des doutes sur leur efficacité. En 1903 et 1904, les gouvernements autrichiens et italiens commencent une étude basée sur l’installation de 222 canons : l’expérience est jugée comme un échec. “Les opposants insistent sur la disproportion des forces en présence : d’un côté l’irrésistible puissance des agents naturels, du vent, de l’eau, de l’éclair qui est une étincelle électrique de plusieurs kilomètres de longueur, et de l’autre côté une artillerie clairsemée, à peine capable d’envoyer à quelques mètres une couronne de fumée sans masse et sans force”. En France, vers 1900, on construit des pylônes de 40 m de haut pourvus eux aussi d’un équipement censé décharger l’électricité atmosphérique. Ces pylônes, dits “niagaras” se multiplient dans les régions viticoles, mais sont abandonnés vers 1920, faute d’efficacité. D’autres procédés sont venus alors : les fusées, et l’ensemencement des nuages. Cette dernière méthode, développée par les Etats-Unis et surtout l’ex-URSS, consiste à envoyer dans le nuage de l’iodure d’argent : en augmentant le nombre de noyaux de congélation, on espère augmenter le nombre de grêlons aux dépens de leur taille. Outre la toxicité de l’iodure d’argent retombant avec la pluie, les expériences menées dans au moins 15 pays de 1965 à 2005 ont donné des résultats souvent mitigés ou nuls. L’efficacité du canon anti-grêle, supposé avoir un effet désintégrateur des grêles par onde de choc au sein du nuage, et toujours utilisé dans certains pays, est controversée elle-aussi et n’a pas été démontrée. Enfin, une dernière méthode consiste à diffuser en altitude au sein de la cellule orageuse par ballon gonflé à l’hélium des sels hygroscopiques (chlorure de calcium/sels d’aluminium et chlorure de sodium) censés remplacer les grêlons par de la pluie. Ces techniques demeurent incertaines voir infondées scientifiquement pour certaines, mais la conviction, parfois collective, d’être protégé reste un facteur rassurant face à cet aléa climatique aléatoire et dévastateur.
La méthode la plus fiable est le filet anti-grêle vertical, peu utilisé au regard du coût très onéreux d’installation et de manutention.
Brigitte Savigneux d’après un article de Joël Rochard